lundi 1 août 2011

BEAUTE. Le succès des cosmétiques ethniques


Par Maité KODA
Autrefois confidentiel, le marché des cosmétiques pour les peaux noires et métissées est devenu un business florissant. Après les marques spécialisées, les enseignes plus généralistes se sont lancées sur ce créneau.
JPG - 9 ko La marque Black’up a su s’imposer auprès d’un public exigeant © Adeptes des produits cosmétiques, réjouissez-vous ! Le temps des galères est révolu. Autrefois, lorsqu’on avait la peau noire ou mate, il fallait pour se faire belle se frayer un chemin au fond d’une poussiéreuse épicerie indienne ou chinoise. C’était quasiment le seul endroit ou l’on pouvait se fournir en lotion hydratante pour cheveux crépus, lotion pour le corps, défrisant ou même, crème éclaircissante pourtant dangereuses et illégales.
Aujourd’hui, si dans certains départements français, les femmes d’origine afro-antillaise doivent encore parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver leur bonheur, nul besoin pour les Parisiennes d’opter pour une sortie à Château Rouge ou à Barbès pour se fournir en cosmétiques.
Car désormais, ce qu’on appelle l’ethno-cosmétique a dépassé le stade de simple concept marketing. Les produits sont disponibles partout, dans les salons de beauté, les boutiques spécialisées et même les grandes surfaces. Le marché est en plein essor. La raison ? La demande est exponentielle. Par conséquent les marques spécifiques se développent et les grandes marques ont su flairer le filon.
Multiplication des points de vente
C’est ainsi que dans les plus grandes villes françaises, on trouve de plus en plus d’espaces particulièrement dédiés à la beauté noire, avec produits adaptés et vendeurs expérimentés.
Dans le 20e arrondissement de Paris, la boutique Arsène Valère est un des ces lieux privilégiés des femmes et des hommes noirs qui veulent prendre soin de leur peau. La marque, créée en 1965 propose toute une ligne de beauté pour les peaux « noires, mates et métissées ». Maquillage, démaquillant, shampoings, crème anti-rides, lait nourrissant... tout est là.
La marque est implantée dans l’Hexagone, à Paris et à Limoges, où se trouve le siège social, mais aussi dans les départements d’Outre-mer. Des points de vente ont ouvert à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Saint-Denis de la Réunion. Sans compter l’étranger, au Luxembourg et même à Chypre ou en Chine. JPG - 13,5 ko Une publicité pour la marque Iman propose des produits adpatés à toutes les carnations ©
Des besoins spécifiques
Surfant sur la même vague, apparemment porteuse, une boutique de distribution Colorii a ouvert ses portes il y a tout juste un an dans le très fréquenté forum des Halles, en plein cœur de Paris. Cent-vingt mètres carrés dédiés à la beauté noire qui attirent un public ciblé et informé. Car la différence ne se joue pas uniquement sur le fond de teint. « On considère qu’il y a 35 teintes de peaux noires ou métissées, contre une dizaine pour les peaux blanches, explique Cécile Abric, responsable du magasin.
Les produits de maquillage, notamment les ombres à paupière ou les blush, se doivent d’être très forts en pigments pour faire ressortir toute la beauté du contraste entre la peau de la cliente et la couleur du maquillage. De même le besoin en hydratation du corps et des cheveux est bien supérieur à celui que l’on trouve sur une peau blanche ou des cheveux raides. »
Selon Cécile Abric, la clientèle de la boutique compte pourtant 10% de femmes à la peau blanche. « Elles viennent chez Colorii par hasard, contrairement à nos clientes noires mates ou métissées, et restent pour l’accueil, l’environnement et les produits », assure-t-elle. La demande est bien là : une nouvelle boutique doit voir le jour en septembre à Rosny 2, en Seine-Saint-Denis, et des projets d’ouverture en région parisienne et en province sont à l’étude. JPG - 7 ko La boutique Colorii, un espace dédié aux peaux noires et métissées à ouvert ses portes dans le forum des Halles à Paris ©
A coté de ces enseignes spécialisées, depuis plusieurs années d’autres réseaux de distributions plus généralistes se sont adaptés à la demande. Dans de grandes enseignes de cosmétiques, telles que Séphora, Marionnaud, Printemps ou les Galeries Lafayette pour ne citer qu’elles, les stands pour peaux claires côtoient désormais ceux des marques telles que Black up, Mac, ou Iman - du nom de sa créatrice, l’ancien mannequin somalien.
Un budget 4 à 6 fois plus élevé
Selon les derniers chiffres d’Ak-a, une agence d’études et de conseil en ethnomarketing, spécialisée dans l’expertise et le conseil des grandes sociétés françaises, 74% des afro-français estiment avoir des besoins spécifiques en matière de soin pour le corps. Ils sont 83% à penser de même pour leur cheveux. Les afro-françaises dépensent en moyenne cinq fois plus en produits de maquillage que le reste de la population féminine française globale, six fois plus lorsqu’il s’agit de leurs cheveux.
Un marché très alléchant
Une nuance de taille, qui se retrouve en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et qui s’expliquerait par la quantité des besoins de la femme noire. « La différence est considérable, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les cheveux, explique Didier Mandin, directeur d’Ak-a. Une femme blanche aura besoin pour ses cheveux d’un shampoing et à la limite d’un après-shampoing. En revanche, l’entretien de cheveux crépus, souvent très secs nécessite ces deux produits, mais aussi l’usage de crème, de capsules et parfois de lotion ou de sérum ». JPG - 20,9 ko Avec ses vertus hydratantes, le karité est particulièrement prisé des femmes noires qui cherchent à le retrouver dans la composition des produits cosmétiques qu’elles achètent © AFP/ Georges Gobet
Les clientes ne se laissent pas refroidir par les prix, plus élevés que la moyenne des crèmes et autres lotions qui leur sont dédiées. « Elles préfèrent investir dans des produits plus chers et de meilleure qualité que dans des défrisants bon marché qui leur brûleront les cheveux et/ou le crâne chevelu », assure encore Didier Mandin.
Au vu de ces chiffres alléchants, les grandes marques généralistes n’ont pas hésité longtemps avant de se lancer sur le marché. Elles avaient les laboratoires, le nom, les moyens de communiquer dessus. Seul problème : l’expertise dans le domaine. C’est pourquoi, elles se sont tournées vers les plus petites marques déjà présentes sur le marché ; et les ont rachetées. En 1998, l’Oréal a acquis en la société Softsheen, leader américain des produits capillaires ethniques.

Autre exemple de cette diversification, la marque a récemment créé une gamme de fond de teint « Accord parfait » qui se décline en une quinzaine de teintes, adaptées à toutes les carnations, de la plus pâle à la plus sombre.
Les marques de shampoing telles Dop, ou Garnier ont elles aussi investi le marché, présentant des produits comportant les vertus super hydratantes du karité ou encore de l’huile d’avocat.
Une communication hésitante
« Les clientes savent ce qu’elle recherchent, car elles ont souvent été déçues. Elles regardent la composition, connaissent le produit qui agressera leur cheveux et celui qui les fortifiera, vérifient le pourcentage présent dans le produit. Par conséquent, on ne peut pas leur raconter n’importe quoi », affirme Didier Mandin. JPG - 8,9 ko La chanteuse Beyoncé a fait la promotion d’un produit lissant de l’Oréal ©

C’est pourquoi des spots parfois maladroits font doucement ricaner le public. Lorsque la chanteuse Beyoncé Knowles vantait à la télévision les mérites d’un shampooing lissant de l’Oréal, la sublime chevelure qu’arborait la star dans le spot était on ne peut plus lisse. Mais elle était surtout artificielle, ce qui n’a pas pu échapper à l’œil aguerri de la cible visée, de jeunes femmes noires très au courant, pour les avoir essayé elles-mêmes, de ces subtilités capillaires. Difficile ensuite pour l’Oréal de les convaincre qu’elles aussi « le valaient bien ».
Pour autant, les publicitaires hésitent encore à nommer explicitement leurs cibles dans leurs spots publicitaires. On n’y voit que très peu, voire pas du tout de femmes noires présenter ces nouvelles gammes. Les shampoings et crèmes hydratantes de Garnier et de Dove sont estampillées « pour les cheveux secs ou frisés » selon le packaging et la publicité.
Même si ces dernières ne font intervenir que des personnes métissées ou à la peau relativement claire, aux cheveux bouclés ou frisés plus que crépus, la visée ethnique se devine aisément.
Etant donné la demande, la tendance du marché de l’ethno cosmétique a encore de beaux jours devant elle. Selon l’agence Ak-a, on compte plus de 4 millions d’afro-français en France. Un jour viendra forcément ou l’on verra des femmes noires promouvoir les produits de marques à la télévision française.
Il y a fort à parier que les règles du marketing seront alors beaucoup plus convaincantes pour les décideurs qu’un long débat sur la discrimination positive dans une France toujours frileuse quant à la médiatisation de ses minorités.

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